Une enquête menée par Wolters Kluwer en 2023 montre que 73 % des professionnels du droit envisagent d’intégrer l’IA générative dans leur pratique en 2024, reconnaissant son potentiel pour améliorer l’efficacité et fournir des analyses plus approfondies. Cette anticipation s’accompagne toutefois de préoccupations relatives à la régulation, la précision, l’incohérence et les biais potentiels.

Parallèlement, l’étude d’OpinionWay intitulée « Perspectives Avocats et Juristes 2023 : L’IA, opportunité ou menace ? » pour Lamy Liaisons révèle que seulement 32 % des avocats prévoient d’informer leurs clients sur l’utilisation de l’IA générative.

La question de la transparence, notamment dans le milieu juridique, est actuellement au cœur des débats.

La transparence est-elle toujours nécessaire?

Je vais prendre un exemple en faveur de la transparence et un exemple contre même si je m’attends à ce que cela fasse débat!

La crise agricole récente nous a montré à quel point la transparence peut-être vertueuse et nécessaire. Nous voulons tous savoir d’où viennent les produits que nous mangeons et nous sommes intéressés de savoir si le producteur est rémunéré comme il se doit. Nous voulons dorénavant savoir si le distributeur “ne se gave pas” sur le dos du client et du producteur.

En revanche, et je sais que certains ne seront pas d’accord ( mais c’est le jeu), la transparence de la vie politique n’est pas franchement une réussite. Si elle a permis de mettre fin à des pratiques qui n’ont plus lieu d’être, elle peut parfois tourner à l’inquisition d’autant plus quand elle s’invite dans la sphère privée. Par ailleurs, nous savons tous, même si d’autres facteurs viennent se rajouter, que cette transparence tend à rendre les fonctions politiques beaucoup moins attrayantes qu’autrefois.

Pour ne froisser personne, je vais prendre deux exemples relativement proches et anciens en même temps, mais imagine t-on François Mitterrand ou Jacques Chirac se prêter au jeu de la transparence? Pourtant, beaucoup considèrent (peu importe les idées politiques) qu’ils sont les deux derniers à avoir réellement incarner la fonction présidentielle.

 

La transparence dans le milieu juridique

Quelle forme prend-elle exactement ? L’idée que les résultats priment sur les moyens est discutable, mais il semble illusoire de penser que les clients resteront indifférents à l’annonce de l’utilisation de l’IA par leur avocat dans la gestion de leur dossier.

Les mentalités évoluent lentement, surtout du point de vue des clients. Bien que nous puissions nous-même faire appel à l’IA dans notre activité professionnelle, accepter son utilisation par un prestataire quand nous sommes client peut s’avérer difficile. La transparence ne peut être efficacement mise en œuvre que dans un environnement où la réflexion et la pédagogie prévalent sur les préjugés. Actuellement, une majorité de clients pourrait percevoir l’utilisation de l’IA par un avocat avec scepticisme, nourrissant le « syndrome du client compétent ».

De plus, lorsqu’il est question de transparence sur l’utilisation de l’IA, quel degré d’utilisation justifie une notification au client ? Faut-il signaler la rédaction d’un email par une IA générative ou l’emploi d’un logiciel juridique intégrant l’IA ?

La transparence est une chose, mais la justification en est une autre. Il ne faut pas confondre l’obligation de transparence d’un avocat envers son client avec la nécessité de justifier chaque outil et chaque action entreprise dans la gestion d’un dossier.

Doit-on calculer un pourcentage d’utilisation de l’IA à partir duquel il serait obligatoire d’informer son client?

 

La transparence donne t-elle confiance?

Ne pas être transparent, est-ce mentir?

La transparence inclue t-elle la confiance? Si vous ne dites pas ce que vous faites, avez-vous quelque chose à cacher?

Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire?

Si dans un sens, on peut comprendre qu’il n’est pas sain de cacher l’utilisation de l’IA, ne pas le dire est-ce le cacher? Devez-vous attendre que le client le demande ou devez-vous prendre les devants?

Beaucoup de questions et autant de réponses. Certains clients préfèrent savoir d’autres non. Certains clients verront d’un bon œil l’utilisation de l’IA, d’autres non.

Certains préfèrent que leur docteur leur dise qu’ils vont mourir, d’autres préfèrent ne pas savoir.

Encore une fois, on retombe dans l’humain , car l’IA révèle beaucoup sur la nature humaine. Chaque personne a son propre schéma de pensée auquel vous devez vous adapter.

Mais doit-on avoir une politique qui s’adapte à chacun ou une politique commune à tous? L’une privilégie l’humain, l’autre prémunit des critiques faciles.

Conclusion

En définitive, transformer cette transparence en obligation de justification pourrait annuler les avantages de l’IA en termes de gain de temps, obligent à des explications détaillées sur le recours à cette technologie et ses motivations. Ainsi, le temps économisé grâce à l’IA, censé permettre un contact humain accru avec le client, serait compromis par des débats sur la légitimité de son utilisation.

La quête de transparence transformée en justification pourrait, paradoxalement, nuire à l’efficacité de l’IA dans le secteur juridique et même éroder la confiance des clients envers leurs avocats.

La transparence sera un enjeu majeur des mois à venir. Si elle peut être vertueuse, il faudra prendre garde à ne pas la rendre nocive, tant pour les clients que pour les avocats. Car au final, tout le monde serait perdant.

La question est loin d’être simple et je me garderai bien de donner un avis tranché. Le sujet mérite le temps de la réflexion mais savons-nous encore prendre le temps?

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